Le Chasseral - comment la Suisse a trouvé son niveau
La pyramide en métal qui domine le Chasseral atteste, aujourd’hui encore, l’importance de ce sommet du Jura pour la mensuration nationale. Bien que située sur le point culminant du Jura bernois, elle doit supporter depuis 1979 le voisinage direct de la très massive station de télécommunication. L’histoire est peu connue, mais la pyramide du Chasseral a aussi une portée symbolique: c’est en effet ici que la Suisse a «trouvé son niveau». Bien sûr, si le terme «niveau» peut avoir un sens qualitatif, il désigne ici l’altitude.

Chacun sait aujourd’hui que les cotes de niveau sont basées sur le niveau de la mer et que l’on parle donc d’altitude «au-dessus du niveau de la mer». Mais nous en savons beaucoup moins sur la façon dont nos ancêtres, il y a plus de 175 ans (et sans les possibilités techniques dont nous disposons aujourd’hui) ont pu définir au mètre près des altitudes par rapport au niveau de la mer dans ce pays enclavé qu’est la Suisse. En effet, la mer la plus proche est située à quelques centaines de kilomètres au sud de nos frontières.
En Suisse, les premières indications de «hauteur au-dessus du niveau de la mer», représentées sur quelques cartes seulement, étaient basées sur des mesures barométriques comparatives effectuées par les naturalistes des 17e et 18e siècles. Lorsque le projet d’établissement de la carte Dufour, première carte officielle de la Suisse, a vu le jour en 1832, la question s’est naturellement posée de définir les altitudes par rapport au niveau de la mer. Ou plus exactement: on a cherché un point de référence en Suisse dont l’altitude correspondrait le mieux à un ou plusieurs marégraphes.
Ce travail fut réalisé par des ingénieurs topographes français qui, après la chute de l’ancienne Confédération, effectuaient également des mesures sur le territoire suisse. Suite à leur départ, voici comment l’un des chroniqueurs de l’époque jugeait leur travail:
«Ces étrangers, après avoir chahuté un moment en Suisse, disparurent comme ils étaient venus, et aucune trace ne demeura de leur activité ou inactivité.» (E. Zschokke, 1877).
Bien évidemment, la vérité était quelque peu différente, comme le montre l’exemple du Chasseral. Le général Guillaume-Henri Dufour (1787 - 1875), alors quartier-maître général, et le géodésien Johannes Eschmann (1808 - 1852) se basèrent sur les travaux des Français pour déterminer l’altitude du Chasseral. Mais ils trouvèrent dans les relevés officiels français deux valeurs différentes, toutes deux établies par le biais de mesures des angles verticaux:
Comparaison des résultats des mesures
À partir de cette altitude de référence, Eschmann calcula en accord avec Dufour l’altitude des points de son réseau de mensuration, ce que l’on appelle la «triangulation primordiale». C’est sur la base de cette trame que fut établie la carte Dufour. En parallèle, il établit le niveau de certains lacs suisses, dont le lac Léman, et attribua donc indirectement au «repère Pierre du Niton» (RPN) une altitude de 376,2 m au-dessus du niveau de la mer. Ce repère de niveau apposé sur le plus petit des deux blocs de granit situés dans la rade de Genève sert aujourd’hui encore d’horizon de référence pour l’ensemble des cartes nationales.
Reste la question de savoir comment les Français ont réalisé le lien avec le niveau de la mer. Tout ce que l’on sait avec certitude de la première valeur d’altitude du Chasseral, c’est qu’elle est basée sur des mesures barométriques effectuées à Strasbourg. La deuxième valeur a quant à elle été obtenue par des mesures (d’angle) trigonométriques réalisées à travers la France, de la frontière Suisse à la côte Atlantique au niveau de l’île de Noirmoutier.
Sur la base des meilleures techniques de l’époque, le niveau supérieur du RPN fut établi à 2,6 m au-dessus de la valeur actuellement en vigueur de 373,600 m qui figure sur chaque carte nationale. Qu’est-il donc arrivé entre-temps?
En 1862, l’altitude de notre point de référence genevois fut déterminée à partir du premier nivellement réalisé en France. Et là, surprise: l’altitude ne s’élevait plus qu’à près de 374 m au-dessus du niveau de la mer Méditerranée à Marseille. Visiblement, ce résultat trouva peu d’écho à Berne. Sinon, il serait probablement aujourd’hui encore l’horizon de référence en vigueur pour l’ensemble des travaux de mensuration en Suisse.
En 1864 débutèrent en Suisse des mesures de nivellement national de précision, la première section concernée étant la liaison entre Genève et le Chasseral. Suite à la différence d’altitude en résultant, le directeur de la topographie nationale de l’époque, le colonel Herrmann Siegfried (1819 - 1879), établit le RPN à 376,86 m au-dessus du niveau de la mer en reprenant la valeur altimétrique d’Eschmann pour le Chasseral. C’est à partir de cet horizon de référence qu’ont été établies les cartes Siegfried, ancêtres de nos cartes nationales.

Dès 1902, des travaux détaillés de la topographie nationale permirent d’établir la valeur actuellement utilisée pour le RPN. Mais il fallut encore attendre plusieurs décennies pour voir cette valeur, inférieure de 3,26 m au niveau précédent, adoptée dans les différentes cartes et ouvrages de référence. Et aujourd’hui encore, notre Office reçoit des questions portant sur la confusion entre ces deux horizons de référence.
Voici un récapitulatif des niveaux de référence des principales cartes de Suisse:
Les niveaux de référence des principales cartes de Suisse
Office fédéral de topographie swisstopo
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3084 Wabern
